la Maison de la Méditerranée de Dijon bénéficie des lectures de ses amis d’outre Méditerranée. De Bejaia (Bougie ou Bgayet), Tassadit nous envoie cette note sur cet écrivain algérien, peu connu (même en Algérie) et pionnier.
Mamoun ou l’ébauche d’un idéal est un roman écrit par Chukri Khodja , édité en 1928,Paris, Radot, préface de vital Mareille. Le titre nous fait penser à une recherche d’un idéal, à une représentation que l’on fait de cet idéal et que l’on essayera de réaliser .Ce dont la lecture de l’ouvrage nous confirmera .Les événements de ce roman se déroulent à Alger pendant la période coloniale ; vraisemblablement vers les années 1920.l’œuvre en question est présentée en un seul bloc.
Né à Alger le 21 février 1891,Hassan khodja hamdane chukri était issu d’une famille de notables ; son grand père était président du tribunal de cour d’appel d’Alger. Il effectua des études à la medersa puis à la faculté des lettres et obtint un diplôme d’arabe. en 1910, il est dans l’administration .Il écrit deux roman dont le premier est » Mamoun l’ébauche d’un idéal » et le second » El euldj captif des barbaresques « , en 1929 édité à l’INSAP, Arras.
Mamoun, le héros du roman de Chukri khodja est un jeune algérien son acculturation le
conduira à sa perte. Fils d’un caïd (Bouderbala) il manifeste déjà à trois ans de l’intérêt et de la fascination pour l’autre « ses yeux, noirs et fureteurs, fixent avec insistance cette file de wagons , bondés de monde bigarré, ou le roumi élégant jouit des commandes »contrairement à ses semblables qui ne l’émeuvent pas .
Nourrissant l’espoir de le voir devenir avocat son père l’envoya au lycée d’Alger et ce malgré les réticences de sa mère Haddehoum.
Arrivé à Alger, c’est sans difficultés qu’il entre dans le train de vie des français « …il imite ses camarades français en tout, il boit du vin, il déguste volontiers les tranches de jambon… ».
A vingt ans, il ne reste plus rien en lui qui rappelle un musulman ; sa mémoire garde peu de souvenirs de son enfance.
Renvoyé du lycée, Mamoun s’adonne aux plaisirs de la vie en fréquentant buvettes et brasseries, et côtoyant les femmes ; c’est la frénésie de la vie de débauché qu’il paiera de sa santé dégradante .Il fera d’autant plus la connaissance d’une femme mariée (madame Rubempierre-lili- ; m’tornia) qui deviendra sa maîtresse.
Le diagnostic alarmant du médecin et son état de dépendance le font réfléchir quant à son avenir et l’urgence de se prendre en charge et de chercher un emploi après que son père lui eut coupé tous les vivres, mais ses tentatives sont vouées à l’échec à cause de ses antécédents. Il ne reste que la compagnie de son ancien professeur Rodomski qui lui apporte un réconfort et une occasion d’exprimer ses opinions sur la coexistence des Français avec les Algériens
mais surtout sur la situation de ces derniers vis à vis de cette civilisation qu ‘est venu apporter l’autre. Ce même professeur va l’aider à sortir de prison et le poussera à demander pardon auprès de son père, pour enfin revenir chez lui mourir après avoir prononcer le credo de l’Islam.
L’œuvre de Chukri Khodja s’inscrit dans la littérature de l’entre-deux guerres ,représentée aussi par Abd El Kader Haj Hamou, Haj Cherif Kadi, Mohamed Ould Cheikh, Caïd Ben Cheikh et autres .
Cette littérature s’adresse essentiellement aux français pour faire l’éloge de cette mère civilisatrice, mais non sans glisser quelques reproches sur le fonctionnement de son système comme le souligne J. Dejeux « s’ils (les écrivains de cette époque) critiquent parfois avec mesure l’influence néfaste de la colonisation sur les mœurs (l’alcoolisme en particulier), ils n’omettent jamais le généreux couplet sur les bienfaits et sur la mère –patrie ».
En effet, l’auteur entame son livre en adressant un hommage à la France « à l’âme de la France, qui plane partout, respectée, ce roman, humble écho de l’amour que lui voue une âme, silencieusement, mais foncièrement française, est dédié. » Ceci pour souligner le respect et tout le dévouement que l’écrivain a pour le colonisateur, mais cela peut revêtir l’aspect de la dépendance non de Chukri Khodja seulement mais bien de tous les écrivains de l’époque du joug colonial, Ahmed lanasri dira à ce propos que la suprématie de la langue du colonisateur et sa domination politique ,qui accentuait la mise en tutelle de cette production, est aggravé par la dépendance de cette littérature vis-à-vis des structures de diffusion et d’édition .Ce qui se manifeste notamment par la pratique de la préface. C’est le cas de cette œuvre préfacée par Vital Mareille .
Cet hommage rendu à la France apparaît tout au long de l’histoire : d’abord par la fascination de Mamoun enfant devant le passage du train et son intérêt pour « le roumi élégant », puis par son instruction même au côté des européens à Alger qui accroîtra cet amour par la découverte des savants et des écrivains français « …comme je connais les Voltaire, les Boileau ,les pascal, les Musset et autres ,je ne saurais faire autrement que de les aimer d’un amour profond et les aimer n’est ce pas aimer leur patrie ? », une instruction qui lui permettra de réfléchir sur la société traditionnelle et de remettre en cause certaines de ses pratiques telles que la condition des femmes algériennes ( Haddehoum est battue pour avoir fait objection à son mari quant à l’envoi de leur fils à Alger ,son mari a même pris une deuxième femme plus jeune et plus belle q’elle) «…infliger une correction, dont les maris bédouins ont le secret, lorsqu’il s’agit de faire sentir à leurs moitiés, qu’ils sont les plus forts… », ou même critiquer la religion et la méthode son de enseignement « dans le vacarme de l’école coranique, il arrache ,comme les autres, par bribes, au maître ,sans pédagogie, le verset… », « Déjà, à son âge, il commence à trouver fort ennuyeux…ce genre d’études »
C’est ensuite par tout ce qu’a apporté la colonisation de civilisation pour l’Algérie entre autres l’embellissement de la ville d’Alger et sa modernisation à l’image des villes françaises (opéras, théâtres, jardins, tramways, piano, etc.) et sur le plan des relations humaines tout ce qu’a apporté Mr Rodomski à Mamoun comme soutien moral et aide pour le sortir de prison et conseil de réintégrer sa famille et laisser la vie de débauché.
Mamoun n’est pas qu’une hymne adressée à la mère France, c’est un appel à celle ci pour prendre en charge cette population à qui l’on a promis la lumière mais qu’on a laissé au milieu d’un tunnel, déchirée entre deux cultures : Le sors du héros ne le montre que trop bien.
De ce fait Chukri Khodja se fait le porte parole de ses concitoyens pour attirer l’attention des autorités coloniales sur certaines réalités qui minent la société (l’alcoolisme, la prostitution, la consommation des stupéfiants,…), ces pratiques quotidiennes sont à l’opposé d’une civilisation acclamée. Car finalement ce désintérêt ne peut emmener qu’à l’échec (mort de Mamoun, tout comme celle de Lilli).
Tassadit